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Document – Les Cléricaux critiquent le Positivisme

Larousse – 1869 :

Rappelons seulement ce que nous avons eu plus d’une fois l’occasion de répéter : le côté faible du positivisme, cette doctrine, d’ailleurs puissante et vivace, c’est l’exclusion mal justifiée qu’elle donne à l’absolu. On peut nier les applications de la métaphysique aux choses de la vie sociale, on ne peut prétendre les exclure des méditations philosophiques [païen Clérical !].

D’après M. Dupont-White, on peut définir le positivisme : la science affirmant qu’elle suffit à l’homme, quand elle fait profession de ne connaître que la matière, les propriétés de la matière, les lois de la matière. Pour premier effet de cette affirmation,.vous voyez disparaître de l’esprit humain la religion et la philosophie. Ces aperçus, le philosophe positif les traite de spéculation excessive, de méthode vicieuse, et pour ce méfait il renvoie philosophie et religion aux premiers âges du monde, comme un début informe, comme un exercice puéril et véniel de l’humanité naissante.

“Le positivisme est donc, avant tout, une excommunication de la religion et de la philosophie, éliminées, répudiées péremptoirement, comme étrangères ou comme malsaines à l’esprit humain. La science les traite de théologie et de métaphysique, ce qui est gros d’insinuations malveillantes…” (M. Dupont-White, Revue des Deux Mondes).

Ainsi, le positivisme, supprimant les questions relatives à notre fin et à notre origine, n’est essentiellement ni matérialiste ni athée ; mais il proclame bien haut l’impuissance de l’esprit humain à pénétrer dans le domaine des notions absolues. Il ne dit pas : “Dieu n’existe pas, l’âme est matérielle et périssable” mais il dit : “Nous ne pouvons rien savoir sur Dieu, sur la nature essentielle de l’âme.” Il en résulte pour les positivistes, comme pour les matérialistes, que le culte d’un Dieu personnel est une folie, la révélation un mensonge, la sanction du devoir par une vie future un mensonge encore. Quant au fondement de la morale, Auguste Comte le trouve dans la force de certains sentiments qu’il appelle altruistes, et dont le développement de plus en plus général doit résulter d’un système très-empirique d’institutions sociales qui prennent l’homme à sa naissance pour le suivre et le diriger dans toutes les phases successives de sa vie [“La République doit prendre en main le citoyen du berceau jusqu’à la tombe”, dira Ferry le positiviste]. À ce point de vue, la philosophie positive prend tous les caractères d’une véritable religion, et d’une religion qui n’est exempte ni d’exaltation quelque peu fanatique ni de bizarreries quelquefois choquantes.

Larousse, 1869

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Alec Mellor (Avocat à la cour de Paris, légitimiste… Clérical !) – 1978 :

Histoire de l’anticléricalisme français

(Ouvrage couronné par l’Académie française)

La formation de l’idée laïque au 19ème siècle :

L’Idée laïque s’est dégagée progressivement au cours du 19ème siècle, comme l’a montré son historien Georges Weill dans son Histoire de l’idée laïque en France (1925). Elle apparaît comme définitivement formulée avec Ernest Lavisse qui avait été attaché au cabinet de Victor Duruy 27 et dont le rôle universitaire fut déterminant, en ces lignes typiques :

“Être laïque, ce n’est point interdire à l’homme le rêve et la perpétuelle recherche de Dieu, c’est revendiquer, pour la vie présente, l’effort du devoir.

Ce n’est point violenter, ce n’est point vouloir mépriser les consciences encore détenues dans le charme des vieilles croyances. C’est refuser aux religions qui passent le droit de gouverner l’Humanité qui dure,

Ce n est point haïr telle ou telle Église, ou toutes les Églises ensemble,

C’est combattre l’esprit de haine qui souffle parfois des religions et qui fut cause de tant de violences, de tueries et de ruines, et dont on peut dire que, dans toutes les religions positives, il a toujours, partout, favorisé un rétrécissement de l’univers,

Être laïque, ce n’est point consentir la soumission de la raison à un dogme immuable, ni l’abdication de l’esprit humain devant l’incompréhensible,

C’est ne prendre son parti d’aucune ignorance, ni d’aucune misère,

C’est ne point permettre à un juge siégeant par-delà la vie, du soin de rassasier ceux qui ont faim, de donner à boire à ceux qui ont soif, de réparer les injustices et de consoler ceux qui pleurent,

C’est livrer bataille au nom de la justice.”

En termes brefs, l’idéal laïque serait un idéal de tolérance, exclusif de toute option religieuse. À lire les sentences gnomiques de Lavisse, il semblerait qu’il se bornât à un système de morale individuelle. Or, il n’en est rien, et c’est son adoption par l’État qui en constituera le phénomène essentiel. Pour ses promoteurs, il réalise aussi l’idéal social, et la raison qu’ils en donnent est que l’État, curateur des intérêts généraux, n’a pas à prendre parti en matière religieuse. Il ne doit que garantir la liberté de conscience et des cultes. Ainsi se trouvera définitivement close la longue période des haines religieuses, au profit de la concorde sociale. Cette doctrine n’en recouvre-t-elle cependant pas une autre, plus occulte ?

La contradiction sans doute la plus directe à un Lavisse, a été donnée par Charles Maurras, dans ces lignes de l’article intitulé La Religion laïque.

“Comprenons bien ce qu’il (le nom de Laïcité) signifie : Ce n’est pas du tout une pensée de tolérance pratique, née de la volonté de faire un peu de paix entre des esprits divisés... Il (l’État) laïcise au nom d’une Libre Pensée qui est une pensée très déterminée, (par conséquent sans Liberté), qui forme un véritable dogme, dogme formel quoique négatif... La Libre Pensée veut qu’il n’y ait pas de surnaturel, qu’il n’y ait pas de miracles, qu’il n’y ait pas d’autorité spirituelle, qu’il n’y ait pas de hiérarchie intellectuelle, morale, ni religieuse, qu’il n’y ait pas de tradition...”

Telles sont les deux thèses.

L’analyse critique du concept de laïcité présuppose qu’on en ait d’abord dégagé l’histoire, car envisagé comme notion philosophique il n’est pas sorti du cerveau de Lavisse tout formé, ni du cerveau de quiconque, mais, comme toute doctrine, est le fruit d’un effort de la pensée antérieure.

À première vue, on est tenté d’admettre que sous l’Ancien Régime l’État avait été confessionnel, puis qu’avec la Révolution il ait cessé de l’être. Si la Révolution n’avait pas été interrompue par Robespierre ou si les Babouvistes avaient réussi, l’État eût été athée. Entre ces deux extrêmes, le 19ème siècle vit s’insérer un État religieusement neutre, ni s’intégrant l’Église ni se proposant pour but de la détruire.

Nous savons qu’en fait la Révolution, elle aussi, fut “confessionnelle”. Elle demeura gallicane sous la régime de la Constitution civile du Clergé. Elle adopta ensuite les cultes révolutionnaires, et, en ce sens, jamais État ne fut plus confessionnel que le sien. (…)

Les appartenances religieuses des citoyens n’en sont pas moins des réalités. Or la politique est la science même du réel. Aussi l’État sera-t-il conduit non seulement à proclamer son respect pour toutes les croyances mais à s’en proclamer le garant, le lieu géométrique. Il est amené, en un sens non dogmatique mais juridique du mot, à faire figure de fédérateur spirituel. L’architrave posée sur les colonnes des différentes croyances sera la République elle-même, qui n’en professera donc aucune. L’idée laïque, telle que la comprenait un Lavisse était dès lors grosse de l’idée antireligieuse, et l’on s’étonne moins de la protection hautaine et apitoyée qu’un texte comme celui que nous avons cité marque à la religion. Dans l’ordre politique, on comprend la crainte du Législateur “laïque” à l’égard des congrégations : le Concordat ne les lui avait pas soumises. Apparemment, il semblerait injuste de voir dans cet idéal un vulgaire comportement de mensonge, un masque de la haine anti-chrétienne. On conçoit néanmoins que l’irréligion militante, pour un laïque “pur” soit l’inéluctable conséquence de ses propres convictions. Elle est, au sens aristotélicien, la corruption du “principe” de laïcité.

Une laïcité toute de tolérance, non antireligieuse, ne se concevrait que de la part d’une société exclusivement composée d’agnostiques, professant le dogme de l’antidogmatisme. Or, pareille société ne se rencontre pas plus dans la réalité qu’un moteur qui ne tournerait qu’au point mort, alors qu’il n’est pas fait pour demeurer immobile et n’existe même que pour produire le mouvement. A fortiori semblable idéal apparaît-il en contradiction avec une société comme la société française, façonnée par des siècles de Catholicisme. Aussi comprend-on qu’en dépit de toutes ses protestations de tolérance et même de respect des religions, le programme “laïque” ne se soit rencontré au 19ème siècle que parmi les esprits antireligieux ou les sceptiques indifférents. L’État neutre ne pouvait être qu’un État d’attente, que l’État déchristianisateur remplacerait tôt ou tard. Les journaux catholiques qui comparèrent Jules Ferry à Dioclétien ou qui caricaturèrent Waldeck-Rousseau en plantant des cornes diaboliques sur sa tête s’indignaient peut-être trop tôt, mais la survenance d’un Combes était aussi inévitable que l’été après le printemps ou l’hiver après l’automne. Nul n’a mieux compris ce sens profond de l’idée laïque levier d’un droit français nouveau, “républicain”, que Georges Ripert dans cette page puissamment analysée :

“Nous arrivons ainsi au sens profond de l’idée de laïcité. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit de compétence entre les autorités ou d’une résistance à l’action politique des Églises. Le principe de laïcité exige l’élimination complète de la force religieuse dans la création du droit.

Il a fallu de longs siècles, écrit M. Scelle, pour séculariser le droit et dans certains États la sécularisation n’est pas achevée. Elle l’est en France. Le principe de laïcité a triomphé. Il signifie “qu’il ne faut assigner à la règle de droit que des fins politico-sociales et considérer les croyances religieuses comme indifférentes à l’obtention des buts sociaux de l’humanité”.

Cette négation tranquille de toute considération religieuse étonne de la part de sociologues sincères. Ils ne peuvent ignorer que l’homme est un animal religieux. Ils ne peuvent même pas dire qu’il l’a été et ne l’est plus, car à certaines époques de notre histoire et dans certaines classes sociales tout au moins, il y a des renaissances religieuses, et l’époque présente en voit une comme les précédentes. Ils sont donc obligés de dire : l’homme doit cesser d’être religieux. Mais ils passent alors d’une vue sociologique à une tendance philosophique. Par là même ils créent contre la force religieuse une force antireligieuse : c’est l’anticléricalisme.

Cette force idéologique a une puissance considérable. Son nom déguise sa nature véritable. Beaucoup de Français sont anticléricaux par tradition. Ils ont le souvenir de la puissance politique de l’Église catholique et la crainte de la voir renaître. Ce n’est pas pour eux qu’une lutte de partis. Mais l’opposition de doctrine est autrement profonde. Il ne s’agit plus de la vieille lutte entre l’État et l’Église pour la direction des hommes et la fondation des œuvres. “L’État moderne, a dit Bernanos, n’a été anticlérical que le temps qui il a fallu pour obtenir de l’Église une neutralité bienveillante. Il a ensuite montré son véritable caractère : l’État moderne est foncièrement anti-chrétien”.”

L’histoire des gouvernements de la 3ème République vérifie cette analyse qu’on pourrait qualifier de clinique.

Si le laïcisme fut absent des institutions révolutionnaires, d’où provient-il ? Il date du 19ème siècle et il est d’origine positiviste. C’est un comtisme politique, asséché dans sa partie spiritualiste, et que Jules Ferry a traduit le premier en législation.

Que le ferrysme est des racines positivistes – ou pseudo-positivistes selon certains, mais peu nous importe ici – est chose démontrée aujourd’hui, mais derrière Comte lui-même quelle pensée-mère découvrons-nous ? Celle de Condorcet. La doctrine de ce dernier n’a pas inspiré la seule pensée de Comte, mais il est certain que la pensée de Comte en est inspirée. Répétons-le : Condorcet est le père, le Mahomet du laïcisme. Il admet, en effet, mais à titre de concession temporaire et provisoire, que l’esprit de progrès fasse preuve de ménagement sinon envers la religion du moins envers les attachements humains au préjugé religieux. Toute la pensée laïque du 19ème siècle n’a fait qu’expliciter à cet égard la doctrine de L’Esquisse du Tableau, et c’est bien dans le comtisme qu’il faut voir le chaînon intermédiaire. La pensée de Condorcet avait été une irréligion mathématique, et l’idée anticléricale découlera de l’idée laïque comme le corollaire d’un théorème. Avec la même rigueur, de l’idée anticléricale se déduira l’idée antireligieuse. Ce sens profond de l’idée de laïcité à laquelle un Georges Ripert aboutit par un raisonnement sociologique se trouve pleinement corroboré par l’histoire des doctrines, et c’est pourquoi, par une voie différente que celle du grand civiliste, nous aboutissons à la même conclusion. (…)

[Influence de Proudhon] :

Aussi est-il nécessaire de replacer cette période du Pré-Combisme dans ce que nous appellerions aujourd’hui son contexte dans l’histoire des idées. Nous rejoignons ainsi le second anticléricalisme. Depuis de longues années, la Contre-Église – sans entendre par là quelque entité organisée qui n’a jamais existé – faisait feu par tous ses sabords. Le premier anticléricalisme, en se contentant d’attaquer les congrégations et même en laïcisant l’École, pouvait passer à ses yeux pour un effort timide, que les juristes seuls tenaient pour hardi. Quel sens pouvait bien conserver encore un Gallicanisme politique, même laïcisé, même républicain, alors que le Christianisme lui-même était représenté comme une souillure dont il convenait de laver la conscience de l’humanité, et alors que Dieu même n’existait plus ? À cet âge que l’on a nommé celui de la mort de Dieu, d’après un mot de Nietzsche, devait correspondre une action politique adaptée et des institutions inconnues du passé.

L’influence de Proudhon dont on a vu les conceptions maçonniques révolutionnaires dés 1847 devait être à cet égard considérable. G. Gurvitch est même allé jusqu’à voir dans son De la Justice dans la Révolution et dans l’Église (1858) “le Manifeste de l’Anticléricalisme français, qui a servi d’inspiration à toute la lutte pour la Séparation de l’église et de l’État sous la 3ème République. Radicaux-socialistes, socialistes, et, plus récemment, communistes, bref tous les laïcs français, ont été inspirés ou continuent d’être inspirés par cet ouvrage, tantôt consciemment, tantôt sans le savoir”. À vrai dire, Proudhon est moins un “séparatiste” qu’un homme qui veut la destruction pure et simple de l’Église catholique, et s’il conçoit qu’elle doive être séparée de l’état, ce n’est que de cette manière, non à la manière des juristes qui, sous la 3ème République, réaliseront la Séparation par l’abrogation du Concordat. Dans la 4ème Étude de De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, il a inséré un “Petit Cathéchisme politique” où on peut en effet lire : “cultes. – Néant. Plus d’Église. Plus de temples. La Justice est l’apothéose de l’humanité. L’ancien budget des Cultes passe au service sanitaire et à l’Instruction publique.”

Avec Proudhon, le second anticléricalisme culmine. “Le premier devoir de l’homme intelligent et libre est de chasser incessamment l’idée de Dieu de son esprit et de sa conscience, pose-t-il en principe, car Dieu, s’il existe, est essentiellement hostile à notre nature... Nous arrivons à la science malgré lui, au bien-être malgré lui, à la société malgré lui : chacun de nos progrès est une victoire dans laquelle nous écrasons la divinités.” Tous ne vont pas jusqu’à provoquer ainsi Dieu en duel, avec l’espoir d’avoir sur lui le dessus, mais la floraison des morales de remplacement, déjà abondante sous Louis-Philippe, s’épanouit. Les religions se contredisent. Or, il faut une morale. Donc, la morale ne doit pas être religieuse. Tel est le syllogisme auquel on peut les ramener à peu près toutes, à travers leurs différences. L’objection que le Catholicisme admette une morale naturelle sous-jacente à la morale religieuse, n’arrête personne. “L’Inquisition, avait dit Renan dans Du libéralisme clérical (1848), est la conséquence logique de tout le système orthodoxe ; elle est le résumé de l’esprit de l’église. L’Église, quand elle le pourra, ramènera l’Inquisition, et si elle ne le fait pas c’est qu’elle ne le peut pas”. Inlassablement, la formule est reprise. L’Église, c’est l’Inquisition. Torquemada... Torquemada... encore et toujours Torquemada. Les feuilles de gauche ne parlent guère que de lui. (…)

Soheib Bencheikh – 1998 :

La laïcité, “otage” du positivisme ?

Or la grande corruption de la laïcité en France n’est pas le fait qu’on la présente comme une philosophie, mais plutôt comme une philosophie militante, dogmatique et dominée par le positivisme.

En première analyse, le positivisme ne peut être qualifié de philosophie areligieuse. Au contraire, il reconnaît la religion, l’intègre et même la félicite pour son rôle unificateur au sein de la société. Cependant, il a une idée précise de la religion. Il se situe lui-même comme l’héritier légitime – mais ingrat – de la religion. Le positivisme remplacera la religion dans ce qu’on peut reconnaître en elle de bienfait social et individuel : l’unification du groupe et l’apaisement des esprits interrogateurs.

Malgré la complexité de la philosophie positiviste, il est indispensable de la présenter rapidement, puisqu’elle a été, et durant plusieurs décennies, assimilée à tort à la laïcité.

Cette philosophie a puisé ses racines dans la Révolution française, notamment dans la pensée de Condorcet, “l’illustre prédécesseur”, comme le nommait Auguste Comte lui-même. Jules Ferry, positiviste convaincu, fut le réalisateur de cette philosophie ; Émile Durkheim, fondateur de la sociologie en France, en fut le théoricien reconnu.

Le positivisme est né en 1844 avec le Discours sur l’esprit positif d’Auguste Comte, qui retient de Condorcet l’hypothèse selon laquelle l’humanité passe, comme tout être, de l’enfance à la maturité. Comte affirme que le fonctionnement des sociétés exige une “unité mentale” pour concevoir les phénomènes et les expliquer. Il présente ce qu’il appelle “la loi des trois états”.

Durant le jeune âge de l’humanité, “l’unité mentale” de la société est assurée par la religion, qui elle-même évolue, et passe du polythéisme au monothéisme. C’est ce que Comte appelle “l’Esprit théologique”, qui joue un rôle positif et unificateur.

Progressivement, un nouvel esprit se développe, “l’Esprit métaphysique”. Celui-ci, contrairement à “l’Esprit théologique”, se caractérise par une activité critique et par un développement de l’individualisme dans la pensée et dans la morale, ce qui ruine le consensus mental indispensable au fonctionnement social. Pour Auguste Comte, “l’Esprit métaphysique” marque les temps d’aujourd’hui.

Le développement systématique de la science dans tous les domaines annonce le rétablissement d’uneunité sociale” fondée sur une unité mentale, qui se nourrit des connaissances livrées par la science. C’est ce que Comte appelle “l’Esprit positif”. Celui-ci émane d’abord des sciences les plus abstraites comme les mathématiques et la physique. Puis il envahit toutes les autres disciplines, pour arriver à la science des phénomènes humains, en particulier la sociologie, qui apporte des certitudes sur le comportement humain. Ces certitudes réalisent “l’unité mentale” recherchée, après sa destruction par “l’Esprit métaphysique” critique et individualiste.

La religion est alors doublement abolie, puisque “l’Esprit théologique” est dépassé par “l’Esprit métaphysique”, puis par “l’Esprit positif” qui s’annonce. Tout en remerciant la religion pour son rôle positif joué jadis, Comte décrète qu’elle doit céder la place à la science qui, par l’instruction, apporte l’ordre et le progrès à l’humanité. Et le catéchisme positif remplace le catéchisme théologique… Cette philosophie donne en effet une place importante à l’éducation qui, avec la diffusion de la science positive, construit à coup sûr l’unité mentale de l’humanité.

L’“unité mentale” d’une société fondée sur les sciences positives, expression inventée par Auguste Comte et théorisée par Durkheim, présente une faille décisive. Étant une élaboration scientifique, elle n’a pas le moindre mystère. Or tout ce qui unit le groupe, et cela depuis toujours, repose sur un sentiment de satisfaction subjective doublé d’une croyance souvent mythique. De plus, la science, qui est en perpétuelle évolution et en permanente remise en cause, est à l’origine du premier trouble de la présumée “unité mentale” de l’Esprit positif. Cette incertitude dans les explications finales fournies par la science a poussé des sociologues et des penseurs, comme Célestin Bouglé, à prendre du recul devant la foi aveugle en la science.

Cette remarque ne cherche pas à évaluer la philosophie positiviste ou à la critiquer. Ma critique vise seulement sa parenté à l’idée laïque. Car l’identification du positivisme à la laïcité nous éloigne de la neutralité de l’État, de la séparationà l’amiabledu spirituel et du temporel, et de l’établissement de la liberté religieuse, celle des “amis de la liberté” de la Révolution française.

Aujourd’hui, il est clair que le positivisme, philosophie profonde et ambitieuse, n’est qu’une pensée parmi d’autres, surtout après l’apparition de philosophies prétendant offrir également une vision globale et universelle des choses. Le marxisme, par exemple, a beaucoup séduit et s’est propagé plus que le positivisme ; mais ce diktat maintenu dans certains pays par la force étatique fut gravement nuisible à la liberté des opinions et des consciences, comme chacun sait.

Les pensées se succèdent, se bousculent ou ne font qu’une rapide visite dans l’esprit des hommes, mais la liberté des consciences et l’absence de contraintes étatiques visant à croire ou ne pas croire demeurent la revendication de base. En effet, cette revendication tire sa force et sa légitimité du fait qu’elle n’appelle pas au respect des pensées, mais au respect de l’homme, quelle que soit sa pensée.

Soheib Bencheikh, Marianne et le Prophète, 1998

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27 Ministre de l’Instruction publique en 1863, sous Napoléon III.

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Avertissement :

Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :

"Les murs ont des oreilles...".