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Laïcité Acquis Sociaux Syndicats Jaunes 1848
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Document – La neutralité positive de l’État

Marianne et le Prophète

Soheib Bencheikh – 1998

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Si nous faisons un premier bilan de ce qu’est la laïcité, nous constatons que le résultat est maigre : la laïcité n’est pas autre chose que la neutralité positive de l’autorité publique devant les croyances d’une part ; et la garantie juridique d’une libre expression et d’un libre exercice religieux, d’autre part. C’est ce second volet de la laïcité qui me permet de qualifier la neutralité de positive. Cette insistance sur la positivité de la neutralité est presque une tautologie, mais le souci d’être clair dans un débat confus m’a amené à le rappeler ; la non-reconnaissance des Églises par l’État n’est pas une invitation à les combattre, mais une invitation à épouser une attitude neutre, sinon respectueuse.

La neutralité de l’État signifie qu’il se sépare de toutes les religions, mais aussi de toute position antireligieuse. En France, le pays qui aujourd’hui symbolise le mieux cette neutralité, l’idée de la neutralité a officiellement pris naissance avec la loi du 21 février 1795 12 [Thermidor !], dite de la première séparation. Boissy d’Anglas, rapporteur de la loi, précise :

“Le cœur de l’homme est un asile sacré où l’œil du gouvernement ne doit pas descendre”.

Ce qui prouve que les promoteurs n’avaient pas le désir d’opter pour un athéisme quelconque, car le cœur de l’homme, cet “asile” interdit au gouvernement, abrite la foi comme il peut abriter l’athéisme.

Le lexique de droit constitutionnel (Avril-Gicquel) cite la phrase d’Aristide Briand à propos de la séparation de 1905 qui précise cette neutralité :

“L’État n’est ni religieux ni antireligieux ; il est areligieux”.

La Constitution qui régit la Vème République affirme le respect de “toutes les croyances”. La neutralité de l’État ne repose donc pas sur le rejet des croyances, mais sur son incompétence (dans le sens juridique du terme), et sur l’absence de prérogatives juridiques ou administratives en la matière.

C’est une définition ancienne exprimée implicitement ou explicitement par de nombreux penseurs, comme Ferdinand Buisson, ou par des philosophes, comme Ernest Renan. Mais cette définition de la laïcité a été oubliée ou presque, dans le brouhaha des intervenants, puisque beaucoup d’observateurs se demandent si une telle neutralité de l’État n’est pas une erreur politique, qui désarme l’État face aux “groupes de pression”.

Cette interrogation est dictée par l’imagination. Car l’État le plus libéral, celui qui intervient le moins dans la société civile, assure sa souveraineté et se protège de toute pression par la loi, ce qui renvoie la question au domaine du droit.

Certains voient en cette définition un appauvrissement, qui vide la notion de laïcité de tout sens. Cette définition rétrécit certes la surface de la laïcité, mais n’entame en rien sa profondeur, ni ses conséquences nombreuses. Devant la multiplicité des religions et des doctrines, le consensus ne peut se faire que sur un petit nombre d’idées. La laïcité serait donc le plus petit dénominateur commun en vue d’assurer son acceptation, son adaptation et son adoption sur toute la planète, et garantir sa durabilité.

Cette opposition à la laïcité-neutralité, considérée comme vide de sens, n’est pas tout à fait injustifiée, mais une réflexion profonde dissipe le malentendu. Au moment où cette définition s’allège pour mieux assurer à la laïcité son acceptation et son exportation, elle n’en exclut pas pour autant l’existence d’autres notions découlant d’elle, mais en tant que possibilité et non comme nécessité, tel le pluralisme religieux. D’autres notions s’en déduisent mais comme conséquences et non comme causes, telles la liberté religieuse ou l’égalité des droits et de traitements entre les croyances s’il en existe plusieurs.

Cette dissociation entre la notion mère : la neutralité des autorités publiques, et les notions filles : pluralisme, liberté religieuse et égalité des droits, aide à la circulation de la laïcité et à son implantation dans l’ensemble des pays du monde. Car j’imagine mal l’exportation d’une laïcité soudée à un pluralisme religieux en Libye, par exemple, où le besoin ne se fait pas ressentir auprès d’une société toute sunnite, toute ash’arite et toute mâlikite. De même, il est inconcevable de proposer une laïcité liée à la liberté religieuse dans un pays qui prône déjà cette dernière, dans un contexte de reconnaissance d’un culte majoritaire ou identitaire, comme c’est le cas en Israël ou dans les Pays scandinaves. Nul n’accepte en effet d’être initié à ce qu’il a depuis longtemps pratiqué. En revanche, la neutralité des autorités publiques engendre systématiquement la liberté religieuse et, avec le temps, favorise le pluralisme ; la nature humaine est versatile, et les gens changent de croyances. Car la foi n’est jamais un acquis mais une constante recherche ; elle n’est pas un chiffre mais un mouvement.

Les Français peuvent exporter à tous les peuples du monde une plante légère mais résistante, qui trouve des racines ou même s’enracine facilement dans leur propre terre. Le fruit de cette plante s’épanouira selon leur goût, et sa fleur harmonieuse se teintera peu à peu de leur civilisation et de leur manière d’être. C’est cela l’Universel !

Soheib Bencheikh, Marianne et le Prophète, 1998

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12 La première séparation qu’a connue l’Histoire a eu lieu aux ÉtatsUnis d’Amérique en 1791, sans atteindre la neutralité totale.

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Avertissement :

Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :

"Les murs ont des oreilles...".